Le jeune DJ et producteur sud-africain, auteur du plus gros hit de 2020 – « Jerusalema » – nous parle de son récent succès, de ses débuts modestes, et de son avenir proche, au menu duquel un nouvel album et des collaborations avec les machines à tubes internationales Akon et David Guetta.
À l’heure qu’il est, tout le monde connaît « Jerusalema », même sans le savoir. La chanson est un phénomène international, contaminant tous les interstices musicaux de la planète, depuis les chorégraphies virales de TikTok jusqu’aux meilleurs classements de Shazam. Parmi les prouesses de la composition, on retiendra qu’elle a été tour à tour remixée par le “African Giant” Burna Boy, citée à plusieurs reprises par le président sud-africain Cyril Ramaphosa, vue sur internet des milliards de fois, et récompensée par le titre de « Chanson de l’année » aux African Entertainment Awards.
De passage à Paris dans le cadre d’une série de collaborations internationales, tout juste remis du lancement de l’énorme single « Shine Your Light » avec Akon et David Guetta, le DJ et producteur a pris le temps de nous rencontrer pour nous en dire plus sur sa vie avant « Jerusalema », et ce qu’on peut désormais attendre de lui dans un futur proche. Ce qui frappe au prime abord, c’est que Master KG est à l’image de sa propre musique : radieux et calme. Il s’assoit face à nous, grand sourire aux lèvres, l’air enjoué, et un enthousiasme non feint à parler de sa carrière musicale. D’ailleurs, plus on discute, plus il devient évident que Master KG et le phénomène qui l’entoure sont bien plus que le résultat d’un simple effet domino. En réalité, il s’agirait plutôt d’un heureux mélange de destin et détermination. Master KG lève pour nous le voile sur ses humble débuts, ses inspirations musicales, son premier essai (conclusif) en matière de production de tube (« Skeleton Bones »), et son nouveau statut d’ambassadeur mondial de la musique d’Afrique du Sud.
Peux-tu nous parler de tes origines, et de tes débuts dans la musique ?
Je suis né à Kelis, un village situé dans la province de Limpopo, près de Tzaneen en Afrique du Sud. Mon enfance au village n’a pas été facile, car les choses n’allaient pas pour le mieux : ma mère était la seule à travailler dans le foyer et devait aussi s’occuper de moi, de mon frère, de ma petite soeur, de ma grand-mère et de ses deux filles. C’est ma mère qui nous permettait de manger à notre faim. Alors tu peux facilement imaginer la difficulté de notre situation. Elle travaillait dans un hôtel et bien qu’ils ne la payaient pas suffisamment, elle parvenait à nous faire dormir le ventre plein. C’est sans doute une des choses qui m’a poussé à travailler toujours plus dur dans le monde de la musique.
Tout a commencé en 2009, quand j’ai su que j’aimais suffisamment la musique pour vouloir m’y investir. Mais ce n’est qu’en 2012 que je me suis frotté à la production pour la première fois, en essayant de comprendre comment était construite telle ou telle chanson, ou quel logiciel était utilisé. J’avais pas mal d’amis au village et à cette époque, il suffisait d’un ordinateur équipé de FL Studio pour produire des chansons. Tu l’installes et c’est plug and play, rien de plus facile. Mais à partir de là, ça a été très très difficile, et il m’a fallu plusieurs années pour y arriver. C’est en 2015 que j’ai senti que les choses prenaient le bon tournant, et c’est d’ailleurs à cette époque que les gens ont commencé à me dire, « ça y est, tu es sur la bonne voie ! »
Y avait-il de la musique à la maison ?
Non, et c’est d’ailleurs étonnant car je suis le seul de ma famille à m’être intéressé à la musique. Personne d’autre à la maison n’était de près ou de loin lié à la musique.
Tu cites souvent parmi tes influences la « Kelowin house », un genre musical de ton village.
Exact. C’est un genre inspiré par notre propre culture. Les éléments qu’on utilise dans cette musique proviennent des figures légendaires qui nous ont précédés. Ils nous ont laissé en héritage certains éléments, ce qui nous permet de confirmer que c’est le son du peuple Balobedu [ou Lobedu, un groupe ethnique d’Afrique du Sud appartenant au peuple Soho-Tswana ; NdA]. D’ailleurs le chant est en langue balobi, donc c’est du pur Balobedu. Moi, je prends ces éléments que je mélange à la house moderne, la musique électronique et les genres plus récents, pour en faire un truc spécial. Ce son est donc bel et bien cuisiné ici dans notre province du Limpopo par un grand nombre d’artistes, dont certains font même de la pure house balobedu, sans y intégrer de house moderne. Ce son est vraiment très lourd et dans ma région d’origine, les gens adorent ça. C’est le son de chez nous. On a grandi en faisant de la musique : on s’en moquait, de regarder la télé ou d’écouter la radio. On faisait de la musique, point barre. Et on n’avait même pas besoin de mettre notre musique sur les sites de streaming ou quoi que ce soit. Une fois que tu avais fini ton track, tu le partageais en bluetooth à ton voisin qui le passait à un autre et ainsi de suite.
Peux-tu nous citer quelques-unes de ces figures légendaires dont tu parles ?
Il y a des gens comme Penny Penny, Peter Teanet, Ken D, ou Zama Ndebele, qui ont véritablement porté cette culture pendant des années, alors qu’on n’était pas encore nés. Et ce qu’ils nous ont laissé, on le transmet au reste du monde. Cela dit, ma musique est plutôt inspirée par le regretté Bojo Mujo. C’était un DJ, producteur et chanteur de Limpopo, un gars de ma province.
Parle-nous un peu de ton premier succès.
Tout a commencé en 2018 avec ma première chanson, « Skeleton Move », sortie sur mon label d’alors, Open Mic. Le titre a mis un certain temps à décoller : normal pour quelqu’un qui vient d’un village et se frotte au marché professionnel, mais il était temps pour moi de faire entendre ma musique partout en Afrique du Sud. Tu comprendras donc aisément que la plupart des gens n’avaient jamais entendu ce son et ne comprenaient rien à cette musique. Ça a donc commencé tout doucement puis, grâce à Dieu, « Skeleton Move » a décollé à peine quatre mois après sa sortie, et n’a depuis cessé de grossir. Je dis « grossir », mais c’était un truc de fou : tout le monde se demandait ce qui se passait. La vidéo a bien pris et quelques mois plus tard le titre entrait finalement en rotation à la radio, se hissait en tête des tendances et des classements, et les gens dansaient ! Ouais, j’ai raflé quelques prix avec cette chanson. Puis elle a fait son chemin au-delà des frontières, dans les pays voisins du continent et dans quelques régions d’Europe. On peut dire que c’était un succès.
Quel est le rôle de la danse dans ta musique ?
Musique et danse vont de pair : elles sont pour moi comme frère et soeur. À chaque fois que j’ai sorti une chanson, les gens ont créé des chorégraphies, ce qui attire forcément l’attention. Et même si je compose une chanson dans le but d’inspirer les gens ou de leur enseigner quelque chose, je sais par avance que les gens vont être super excités et qu’ils vont créer de nouvelles chorégraphies. Et si c’est plutôt inspirateur, j’ai toujours tendance à penser que ma musique doit donner envie aux gens de bouger, de s’éclater et de danser.
D’ailleurs, ta musique véhicule toujours une idée de positivité.
Carrément ! D’autant plus qu’ayant grandi dans les villages, je me dois de répandre cette positivité : l’idée que tout est possible, et que tout le monde peut un jour briller. Quelles que soient tes origines ou la musique que tu joues, tu transmets forcément les notions d’amour, d’unité et d’espoir. J’en suis fermement convaincu. Et d’ailleurs je pense que si je n’avais pas eu en moi ces éléments dès le début de ma carrière, je n’en serais pas où j’en suis aujourd’hui. J’aurais sans doute abandonné il y a longtemps. Mais grâce à l’amour que j’ai reçu, l’espoir qu’on m’a transmis et l’unité que l’on forme avec ma famille et mon entourage, j’ai pu aller très loin…
T’attendais-tu à un tel succès ?
Pas du tout. Je ne vais pas te mentir : je n’attendais rien en particulier, et je n’ai jamais envisagé que les choses prennent cette tournure avec « Jerusalema ». Je me contentais de faire de la musique, comme je l’avais toujours fait. Cela dit, j’ai toujours su que ma musique avait un truc spécial, parce qu’à chaque nouvelle sortie, les choses prenaient plus d’ampleur. Chacune des mes chansons m’a ouvert une certaine porte. Et quand « Jerusalema » est sortie, les choses se sont emballées, comme je ne l’avais jamais vécu. Le genre de choses auxquelles tu ne t’attends pas du tout – même si je les avais un peu pressenties – et qui soudain prennent des proportions énormes. C’est comme ça que les choses évoluent. Avec « Skeleton Move », par exemple, les gens sont devenus dingues. À l’époque on était indépendants, c’était juste moi et l’équipe d’Open Mic, mais la musique a fini par voyager toute seule, jusque dans des endroits où on n’avait aucun contact avec quiconque. Alors oui, je pense qu’il est en train de se passer quelque chose de spécial. Et plus je bosse dur, plus ça prendra de l’ampleur. Quand « Jerusalema » est sorti, c’est allé encore plus loin, et j’avoue que cette fois-ci je n’ai rien vu venir. Jamais je ne me suis dit, « allez cette chanson va être number one ! »
Peux-tu nous raconter la genèse de « Jerusalema » ?
J’ai composé « Jerusalema » un an après la sortie de « Skeleton Move », et c’était une période dingue, avec toutes ces récompenses à gauche et à droite, et ces records battus… Je me souviens qu’à cette époque tout le monde était sur mon dos en train de me dire, « Mec, tu penses vraiment que tu peux faire mieux que ça ? C’est le plus gros succès de ta carrière ! » Tu imagines ? Ça s’explique par le fait que dans ma région d’origine en Afrique du Sud, les gens n’arrivent pas à croire à ce genre de gros succès. Donc quand tu as un « Skeleton Move », c’est forcément le sommet, tu comprends ? Tout le monde pensait que c’était le sommet, et que je ne pourrais jamais faire mieux. Je baignais donc dans un milieu très négatif à cette époque. Les gens n’arrêtaient pas de commenter et de me prendre la tête. Puis j’ai décidé d’entrer en studio dans un état d’esprit positif et j’ai dit, « laissez-moi faire quelque chose de spirituel et touchant. » Dans lequel on puisse entendre de la positivité. J’ai commencé à travailler sur l’instrumental de « Jerusalema » en juillet 2019, et une fois terminé, je l’ai écouté en boucle et j’ai fini par me dire que ça allait être une chanson très émouvante. Je me suis donc mis en tête de trouver une voix qui possédait l’âme et la spiritualité qui colleraient avec l’instru.
J’ai immédiatement pensé à Nomcebo Zikode, et personne d’autre. Elle n’était pas très connue ici en Afrique du Sud. C’était juste une bonne chanteuse, qui à l’époque n’avait encore sorti aucune composition. C’était une personne avec une belle âme qui avait collaboré sur les projets d’autres artistes. Je l’ai donc appelée, et elle semblait très contente de travailler avec moi : « J’adore “Skeleton Move”, allons-y mon frère ! » Elle est venue à mon studio, on s’est assis et je lui ai dit que je voulais que la chanson soit spirituelle. Le beat a déjà cet esprit, et on va le pousser encore plus loin. On s’est installés, on a joué le beat pendant des heures jusqu’à ce que quelque chose apparaisse. Puis on a commencé à tripper sur la mélodie et c’était rapidement dans la boîte. La chanson n’a pas été écrite en amont ; c’est en tout cas mon point de vue. C’était plutôt le résultat d’un freestyle, une idée qui nous est venue et qu’on a enregistrée au fur et à mesure. Et voilà !
On peut dire que tu es désormais un ambassadeur de l’Afrique du Sud et de la musique africaine. Comment perçois-tu ton rôle de représentant ?
Partout où je vais, je représente ma culture, et même quand je ne le fais pas consciemment, ma simple présence incite les gens à en savoir plus sur mes origines. Et quand ils ne connaissent pas précisément la région, ils disent, « Tu sais quoi ? J’ai rencontré le type qui a fait “Jerusalema”, il dit qu’il vient d’Afrique du Sud. » Et alors ils vont s’intéresser à ce qui se passe dans le pays. Mais bon, je ne fais que partager une culture. C’est notre son. Je collabore avec pas mal de gens en ce moment, des stars un peu plus renommées, et j’apporte avec moi cette touche sud-africaine : « c’est ce son et ça vient de chez moi. » Et puis je m’assure de toujours porter des vêtements de marque sud-africaine, comme ce blouson, made in south Africa. J’ai l’impression qu’il y a énormément de choses d’Afrique du Sud que le reste du monde ne connait pas encore. Alors je fais vraiment en sorte de partager un maximum de choses partout où je vais, parce que le monde a besoin de savoir ! On va s’arranger pour qu’ils viennent jusqu’ici pour voir notre culture. Ou même qu’ils l’utilisent ! Je crois vraiment en la puissance de cette musique, et plus je travaille avec, plus je pense que ça va devenir le son sur lequel tout le monde va danser et que les gens vont adorer.
Comment se sont déroulées tes récentes collaborations internationales avec des pointures comme Akon ou David Guetta ?
C’était génial. C’est le genre de truc que je n’ai pas vu venir. J’ai grandi au son de David et d’Akon, et je ne les voyais qu’à travers l’écran de télévision. C’est un truc de dingue. Et les voir sortir ces titres géniaux, j’étais genre, « Mais comment font-ils ? » Et je me disais que c’était impossible de les rencontrer en personne. Pour moi, ce sont des… je ne sais pas, mec. Ils sont comme Dieu ! Des personnages tellement adulés et tellement loin, très loin de ton quotidien, que tu n’envisages pas une seconde d’avoir la chance de les côtoyer. Et aujourd’hui, me voici travaillant avec eux, produisant de la magie ensemble. C’est génial, mec.
Et puis le truc que j’adore chez eux, c’est qu’ils se consacrent complètement au travail. Ils ont beau être des énormes stars, ils sont arrivés avant moi et ont accompli bien plus de choses que moi. Et pourtant, à chaque fois qu’on se met au boulot, ça devient leur priorité. Tout est fait dans les temps, rien n’est repoussé ou retardé. C’est la même chose avec Burna Boy, qui a bossé sur le remix de « Jerusalema » en un temps record. Je crois qu’il l’a bouclé en deux jours et il me l’a envoyé dans la foulée. J’ai adoré le résultat, ça m’a vraiment plu. On ne l’a même pas retouché. Et ce genre de détail te prouve que ces types se consacrent à fond au travail. Ils sont littéralement dévoués à la tâche. Ils ne te font pas attendre, ils ne te manquent jamais de respect, ils ne t’ignorent pas. Rien de tout cela.
Le magazine Forbes Africa t’a inclus dans sa toute dernière liste « 30 Under 30 »
C’est génial. Ça prouve qu’ils m’avaient déjà repéré et qu’ils sont conscients de l’impact qu’a ma musique. Sincèrement, je trouve ça génial qu’ils reconnaissent mon travail. Ça signifie qu’il y a des gens à l’étranger qui voient les choses qui comptent et l’impact de ta production, et qu’ils savent les apprécier et les valoriser concrètement. Je ne peux que leur être reconnaissant.
J’ai l’impression que cet impact n’est pas étranger à l’accès généralisé à la technologie musicale, notamment les plateformes comme TikTok, Shazam, YouTube, etc.
Vive Internet ! Internet, c’est la vie ! Internet a changé ma vie à tellement de niveaux. Et j’ai l’impression qu’il y a aujourd’hui de plus en plus d’artistes sans label derrière eux et qui survivent grâce à internet. Il leur suffit de mettre en ligne leur musique pour qu’elle soit streamée ou vue par des millions de personnes. On parle de pouvoir, là. C’est comme moi, mec : TikTok a propulsé ma chanson à un autre niveau et c’est extraordinaire. Pareil avec Shazam, Instagram, Facebook, Twitter… qui pour moi ont joué un rôle majeur dans le succès de la chanson, parce que les vidéos étaient sur toutes les plateformes. Tu vas sur le net et il y a cette vidéo que les gens partagent, tweetent et ça change tout.
Je me souviens très bien de la première fois que j’ai publié la vidéo de la danse. J’étais d’ailleurs à Paris, c’était l’an dernier. J’ai vu une vidéo d’un groupe d’Angola que j’ai tout de suite kiffée et postée sur ma page Facebook. Tu ne croiras pas le nombre de partages qu’il y a eus ! C’était quasiment anormal. Deux mois plus tard, le compteur était monté à plus de 200 000 partages. C’est dingue ! Et je ne parle que de Facebook. Quant aux vues, on en était à genre 15 millions. Quelques mois plus tard, ça s’était répandu à TikTok et quand je suis allé voir les contenus, c’était toujours la même vidéo que les gens partageaient. C’est quoi ce délire ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ?
En fait, je crois tout simplement à la puissance des réseaux sociaux. Pendant tous ces longs mois, le contenu était en permanence partagé dans le monde entier.
Et maintenant, qu’est-ce qu’on peut attendre de Master KG ?
Je travaille en ce moment sur mon album. Ce sera d’ailleurs la première fois que Master KG sort un album en le préparant à l’avance. Tu sais, j’ai sorti deux albums sous mon nom mais quand j’y repense, aucun des deux ne m’a pris plusieurs mois de travail. Le premier, Skeleton Moves, comment ça s’est passé ? Une chanson a très bien marché, et mon équipe et moi avons décidé de sortir les chansons qui avaient déjà fuité. On a tout rassemblé sur le même disque et on a sorti l’album. Puis la même chose avec « Jerusalema ». Ça nous a dépassés à tel point que pour nous inscrire à certaines récompenses auxquelles on tenait vraiment, il nous a fallu constituer un album à la va-vite. On a regroupé des chansons qui n’avaient pas fuité, d’autres oui. Il ne s’agissait pas d’un ensemble de chansons pensées pour former un album. Alors je crois vraiment fort à cet album, le « troisième », même si pour moi il s’agit plutôt du tout premier : c’est la première fois que je sors quelque chose sur lequel j’ai bossé si dur et que j’ai planifié aussi longtemps à l’avance. Donc tu peux imaginer à quel point j’ai hâte.
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