Les harmonies transgressives de Moh! Kouyaté

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À la recherche d’une esthétique différente, mais toujours avec la ferme intention de toucher les âmes par sa musique, le chanteur et guitariste guinéen Moh! Kouyaté a opté pour un registre acoustique singulier sur son nouvel album Mokhôya, dix ans après ses débuts internationaux.

Qui était donc Bah Sadio, ce chanteur énigmatique que les Guinéens ne connaissent qu’à travers une poignée de titres diffusés sur les ondes locales et qui a traversé le temps depuis les années 70 en marquant les esprits ? Longtemps, Moh! Kouyaté s’est posé la question, comme nombre de ses compatriotes, au sujet de ce personnage dont personne ne savait rien. Ou plutôt autour duquel s’était tissée une forme de légende pour combler l’absence d’informations – ce qui n’est pas sans rappeler le cas emblématique de Sixto Rodriguez en Afrique du Sud, porté à l’écran dans Sugar Man.

« J’ai fait des recherches », explique le quadragénaire, animé par l’envie de percer le mystère de cet artiste dont « la voix [le] traverse ». Par la communauté guinéenne à Paris, il apprend que le chanteur est mort en France en 1976 d’une maladie du foie alors qu’il venait d’y terminer l’enregistrement d’un album, lequel ne sortira finalement que grâce au soutien de ses proches.

En dénichant le fameux 33 tours intitulé Folklore peulh chanté par Bah Sadio, Moh! Kouyaté découvre une dizaine d’autres morceaux que Maoulou Dou et Djere Lele (repris il y a quelques mois par Soul Bang’s, lauréat 2016 du prix Découvertes RFI), construits, eux aussi, autour du chant et de la guitare. Le décor intimiste de ce disque à haute valeur personnelle réactive en lui l’envie d’un projet acoustique, « pour revenir à l’essence de la musique », après l’aventure du Guinea Music All Stars, collectif ad hoc mis sur pied afin de « présenter une culture qui avait rayonné dans le passé et donner l’occasion à la nouvelle génération de se reconnecter à ses orchestres en leur rendant hommage ».

À l’origine, Moh! Kouyaté avait pensé les différentes chansons de Mokhôya sur le modèle guitare-voix. Les périodes d’isolement en temps de Covid ont fait office de « catalyseur », reconnait celui qui fut coincé à cette époque pendant plus de six mois aux États-Unis où il avait rejoint le bluesman américain Corey Harris, complice de longue date avec lequel il se produit régulièrement sur scène. Mais en chemin, une autre idée s’est manifestée : inviter trompette et violoncelle, qu’il tient pour ses « instruments favoris dans la musique occidentale » et dont il vante les qualités du mariage avec les sonorités mandingues.

Déjà, sur Loundo, son album paru en 2015, il avait demandé à Vincent Segal, moitié de Bumcello, de venir jouer du violoncelle. Cette fois, il a sollicité le Franco-Guinéen Olivier Koundouno, entendu aux côtés d’Emily Loizeau ou Dick Annegarn, ainsi que le trompettiste Camille Passeri, croisé sur la route des festivals en Europe et avec lequel il avait remarqué que le courant passait particulièrement bien à l’occasion de quelques jams de fin de concert. S’y ajoute la kora, que le griot Moh! Kouyaté considère comme son « ADN », et qui a été confiée ici aux bons soins de Sefoudi Kouyaté.

Le quatuor s’accorde, au propre comme au figuré ; l’entente entre ses membres est telle que les mots ne sont parfois pas nécessaires pour mettre en valeur certaines compositions, comme Constance ou Tara, 100% instrumentales. Parmi les douze morceaux réunis sur Mokhôya, quelques-uns avaient eu une autre vie avant d’être repensés, réarrangés, à l’image de Kankélen ou Faloufema. Le Guinéen a aussi puisé à la source, dans l’album de Bah Sadio qui lui sert de référence, pour concevoir une version de Myabele, un air traditionnel dont le Sénégalais Baaba Maal s’était emparé sur son album Missing You en 2001 (sous le titre Miyaabele).

Au centre de ses textes, les préoccupations sociétales qu’il exprime rappellent sa condition, son statut de griot : impossible de s’affranchir d’un tel héritage familial, même lorsqu’on a quitté son pays natal depuis plus de quinze ans et que l’on s’inscrit dans une modernité qui transcende toutes les frontières, en particulier celles des genres musicaux. Son duo avec Gabi Hartmann, très en vue ces derniers temps, en offre un parfait exemple sur Tanoun, qui dénonce les mariages forcés sur le fond et sort des formats habituels sur la forme. La jeune Française dont le registre tire vers le jazz a invité en retour Moh! Kouyaté fin novembre à son concert dans une grande salle parisienne pour qu’ensemble, ils jouent cette chanson pour la première fois en live. La traduction dans les faits des valeurs véhiculées par Mokhôya.

Moh! Kouyaté Mokhôya (Roy Music) 2023 

https://www.deezer.com/fr/album/508403361

A lire sur : musique.rfi.fr

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