Spike la Vipère « Aujourd’hui, le rap guinéen n’a pas d’identité » (interview)

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Ansoumane Traoré, communément appelé Spike la Vipère, est un ingénieur du son guinéen qui a fait ses preuves dans beaucoup de studios d’enregistrement du pays. Pour connaitre son parcours dans ce métier, l’équipe de Tabouleinfos.com l’a rencontré au studio Kirah.

Au cours de cette rencontre, cet ex rappeur de la old school au sein des groupes ‘’GPG Boys’’ et ‘’Alliance Majestik’’, s’est prêté à nos questions.

Tabouleinfos.com : Comment vous vous êtes retrouvé dans l’ingénierie du son ?

Spike la Vipère : Au paravent j’étais rappeur et ex membre du groupe ‘’GPG Boys’’ avec Wula Thug. Au bout de quelques moments, j’ai quitté le groupe en formant un autre appelé ‘’Alliance Majestik’’. Par la pression de la famille, je n’ai pas pu continuer dans la musique, parce que mes parents m’ont exigé de poursuivre les études universitaires. Après mon cycle universitaire, il y a eu l’inondation sur le marché de la musique et la technologie s’était intégrée. Finalement, j’ai eu l’amour de faire le M.A.O. A force de partir chaque fois au studio BBC chez Bangoura, j’ai pris goût. J’ai commencé à utiliser le logiciel Cubase 2. Depuis lors, j’ai eu l’amour de l’ingénierie du son. Malgré j’étais avec Isac le Général, mais j’étais coaché par DJ Mendi et c’est lui qui m’a donné les bases. De là-bas, je m’étais retrouvé avec Junior Fouza, ensuite avec Bob Dina. C’est ainsi je suis-je suis venu dans ce métier.

Tabouleinfos.com : Qu’est-ce que vous aviez pu apporter à ce métier en Guinée ?

Spike la Vipère : J’ai apporté beaucoup de choses, parce que j’ai travaillé pour la majeure partie de l’ancienne et la nouvelle génération des artistes…Malgré qu’aujourd’hui, peu d’entre eux le reconnaissent et me récompensent. J’ai fait ce que je devais faire comme j’avais l’amour de mon métier. A un moment, j’avais reçu les étudiants de l’Institut des Arts Mory Kanté pour des stages de formation au studio 36 States. Ils étaient sortis satisfaits. J’ai eu beaucoup d’autres apprentis dans le bénévolat. Tels que : Ariel Benks, I Maxwell du Libéria… 

Tabouleinfos.com : Qu’est-ce qui manque à la musique guinéenne que les ingénieurs du son du pays n’ont toujours pas apportée ?

Spike la Vipère : Les ingénieurs du son ont fait de leur mieux. Mais le problème est qu’aujourd’hui, on a oublié certaines choses et favorisé d’autres. Concernant le côté artistique, je ne peux pas rejeter la faute aux ingénieurs du son. Avant, pour venir au studio, il te fallait des jours de travail en écrivant et réécrire ton texte, faire de l’autocritique sur ta propre chanson. Mais aujourd’hui, tout se passe à la va vite. La manière dont l’inspiration vient, c’est comme ça on enregistre. On ne calcule pas si le contenu est bon ou pas, si le contenu est cohérent avec le thème. Et actuellement, on ne parle plus de thème dans la musique. On donne juste des titres et dans le même titre, on y retrouve plusieurs sujets. Avant, il y avait l’autocritique. Il y avait aussi la technique d’écriture. Mais présentement, cela n’existe pas. Si tu écoutes les anciens albums rap guinéens, comparativement à ceux de maintenant, il y en a peu qui font l’approche. La manière d’écrire de la old school et celle de la nouvelle génération n’est pas la même chose. Bien sûr qu’aujourd’hui, qu’on parle de la mesure et le temps, mais le contexte dans lequel on écrit le texte est différent. Actuellement, il y a la tautologie dans la musique. Chacun écrit et fait ce qu’il veut. Avant le titre était là. C’était comme une rédaction. La manière dont on développe, c’était de la même manière on développait la musique. Actuellement, c’est le contraire. Il y avait quelque chose qui aidait les artistes avant, mais présentement il y en a plus. Avec le festival RAP AUSSI, on nous apprenait l’écriture de texte. Aujourd’hui, il n’y a plus de festival en Guinée. Sur le net, il y a aussi les moyens pour apprendre à part partir sur facebook et dire de n’importe quoi…

Tabouleinfos.com : Quels messages pouvez-vous prodiguer aux artistes chanteurs guinéens ?

Spike la Vipère : Je leur demande le respect, la sagesse. Mais aussi de faire un retour en arrière pour s’inspirer de l’ancienne génération. Surtout de donner une identité au rap guinéen. Aujourd’hui, le rap guinéen n’a pas d’identité. En écoutant nos rappeurs, on a tendance à écouter un ivoirien, sénégalais ou français. Avant, notre rap avait une identité. Dès que tu l’écoute, tu sauras directement que c’est du made in Guinea avec les sonorités guinéennes (balafon, kora, djembé). Présentement, on ne ressent plus cela malgré c’était du hacord, mais on sentait l’originalité guinéenne à travers les mélodies.   

Tabouleinfos.com : Qu’est-ce qu’il faut pour que la Guinée ait des ingénieurs du son compétitifs ?

Spike la Vipère : Le problème en Guinée, les gens ont la volonté d’investir des milliards pour mettre un studio en place, mais ils manquent de volonté pour former les ressources humaines qui peuvent bien gérer leur studio. Il faut que cela change. Si tu viens avec des milliards pour mettre un studio en place, prends un jeune guinéen l’emmener même au Sénégal pour la formation et revenir travailler pour toi. Je ne suis pas contre les ingénieurs du son étrangers qui sont là. Mais il faut que le guinéen  ouvre ses yeux et que le guinéen travaille pour son compatriote. C’est ce message que je peux donner à tous ceux qui ont la volonté et la motivation d’ouvrir le studio en Guinée, d’investir dans les ressources humaines. Chez les jeunes, ceux qui ont l’amour de la musique, d’investir sur eux et leur offrir des formations même si ce n’est pas en Europe, mais dans les pays limitrophes de la Guinée. Et qu’il y ait un suivi, parce qu’il ne s’agit pas seulement d’avoir un studio de la dernière génération…

Tabouleinfos.com : Quel est votre mot de la fin ?

Spike la Vipère : Je remercie Tabouleinfos.com et tous ceux qui œuvrent pour la culture urbaine guinéenne. Sans oublier la musique guinéenne en général. Merci aux aînés ! 

Aboubacar fodé Bangoura

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