Nigeria : les crimes rituels bannis des écrans de cinéma pour protéger les jeunes spectateurs

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Au Nigeria, cela fait déjà plus de trois mois que le gouvernement fédéral a demandé à l’industrie cinématographique de Nollywood de ne plus diffuser des scènes de crimes rituels afin de ne pas influencer la jeunesse. En février dernier, le Parlement nigérian avait déclaré que la lutte contre les meurtres rituels était devenue une urgence nationale. Et ce, suite à la mort d’une femme de 20 ans dans l’état d’Ogun dans le Sud-est du Nigeria qui a choqué le pays. Selon les autorités, certains des tueurs présumés arrêtés ont avoué s’être inspirés de films. Trois mois après, comment est appliquée cette interdiction ? 

Des critères plus stricts pour obtenir une licence de film, des scripts passés à la loupe : depuis février, l’industrie de Nollywood fait l’objet d’une surveillance accrue de la Commission de censure.

Bukki Agbaminoja dirige cette commission à Lagos. Pour elle, le but est de protéger les jeunes spectateurs. « Nous regardons le caractère artistique du film sans le dénaturer, de quoi parle-t-il et qu’est-ce qu’il reflete de la société. Nous vérifions que le film contient des scène de représailles quand quelqu’un commet un crime rituel et qu’il y a des sanctions. Nous avons un sérieux problème aujourd’hui car les jeunes pensent que ce genre de pratique est un moyen de s’enrichir rapidement. »

De fait, il ne se passe pas un jour sans qu’un quotidien rapporte le cas de corps retrouvés démembrés, les organes vitaux dérobés. Les autorités pointent -entre autres- du doigt l’industrie cinématographique.

Un problème avant tout économique

Mais pour Confidence McHarry, analyste au cabinet de conseil en sécurité SBM intelligence, censurer Nollywood ne mettra pas fin aux meurtres rituels. « Vous ne pouvez pas légiférer ainsi, car c’est un problème économique : les meurtres rituels ont commencé dans les années 80/ 90 avec la hausse de la pauvreté. Si vous voulez protéger les jeunes, il faut redresser l’économie du Nigeria. » 

Autre élément important c’est l’inaction de la police, poursuit Confidence McHarry. « De nombreuses jeunes filles qui sont enlevées et utilisées pour des rituels disparaissent sans que les forces de l’ordre ne fassent quoi que ce soit. La seule fois où un tueur est arrêté, c’est lorsqu’il est retrouvé en possession des organes, mais à ce moment-là, il est déjà trop tard. »

Mais l’interdiction des films montrant des scènes de meurtres rituels ne fait pas l’unanimité à Nollywood. Et pour cause, la deuxième industrie du cinéma au monde a toujours traité des sujets de société et dès ses débuts dans les années 1990 avec le film phare Living in Bondage (2019).

Comme nombreux de ses confrères, le cinéaste Usman Uzee ne comprend pas cette mesure. « Nous voulons raconter ce qui se passe au Nigeria, étant donné que la plupart de mes films montrent la réalité, je fais partie des gens qui ont été touchés par cette interdiction. J’aimerais que le gouvernement comprenne que nous pouvons raconter nos histoires à travers les films pour équilibrer les choses. C’est comme si on disait que les films américains étaient à l’origine de vols ou de crimes aux Etats-Unis.

Les films sont là pour dépeindre ce qui se passe dans la société, on ne peut pas continuer à mentir. Il faut dire les choses telles qu’elles sont : les meurtres rituels existent parce qu’il y a beaucoup de pauvreté dans la société, la jeune génération est lésée et n’a pas de travail. Tout ce que nous essayons de faire, c’est de raconter nos propres histoires en utilisant l’exemple des rituels. 

Combien sommes-nous? Près de 200 millions de personnes. Est-ce que ça veut dire que ces millions de personnes regardant des films nigérians vont être poussés à commettre des meurtres rituels ? Je ne crois pas et refuse de le croire. »

Malgré l’interdiction des meurtres rituels dans l’industrie de Nollywood, la pratique se poursuit, et Usman Uzee, connu pour son film Oga Abuja, produit désormais des films racontant des drames familiaux.

A lire sur : rfi.fr

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